En 1978, Bernard Buffet réalise une suite de lithographies consacrées à trois épisodes majeurs de la Révolution française : La Prise de la Bastille, La Prise des Tuileries et La Bataille de Valmy.
Il faut replacer ces œuvres dans leur contexte de production : la série a été éditée dans un climat politique et culturel où la mémoire révolutionnaire faisait l’objet d’une relecture, à la fois critique et réappropriée. Buffet, profondément attaché à certains symboles de la France – cathédrales, clowns, villes, martyres – a toujours entretenu une relation forte à l’histoire nationale, vue à travers un prisme tragique, tendu, presque liturgique. La Révolution, chez lui, n’est pas représentée comme une fête libératrice, mais comme un drame historique, presque biblique, fait de fer, de feu, de masses compactes et de visages fermés. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’exaltation romantique du peuple, mais la tragédie collective : la tension, la violence contenue, l’ordre qui vacille et l’implacable fatalité des grands basculements.
Le fait qu’il ait choisi trois épisodes clefs, tous situés entre juillet et août 1792 (14 juillet 1789 pour la Bastille, 10 août 1792 pour les Tuileries, 22 septembre 1792 pour Valmy), montre aussi une volonté de condenser dans une trilogie plastique le moment où la monarchie s’effondre et où la République s’affirme dans le sang. Buffet ne s’intéresse pas à la Déclaration des droits ou aux débats philosophiques : il peint le basculement, la guerre, l’assaut, la lutte concrète, c’est-à-dire ce moment où l’histoire se fait dans la rue. Ce choix accentue le pathos dramatique qui imprègne toute son œuvre – les figures sont anguleuses, raides, les lignes noires strient l’image comme des blessures ; les foules sont anonymes, les décors laconiques, les couleurs sombres et peu nombreuses.