Conçu comme un hommage croisé entre deux géants du XXe siècle, Celui qui dit les choses sans rien dire réunit vingt-cinq eaux-fortes originales de Marc Chagall et un recueil de poèmes inédits de Louis Aragon, spécialement écrits pour ce projet. Publiée à Paris en 1976 par les Éditions Maeght, l’œuvre est répertoriée au catalogue raisonné de Cramer sous le numéro 99. Elle fut tirée à 225 exemplaires sur vélin de Rives, dont 25 exemplaires comportent la suite complète des gravures signées, numérotées en chiffres arabes, ainsi que quelques rares épreuves hors commerce, en chiffres romains.
Dans cette série, Chagall ne commente pas les textes d’Aragon : il les traverse. Son trait allusif, ses figures suspendues dans l’espace blanc, ses animaux-fantômes et ses visages évanescents forment un monde parallèle — un rêve visuel posé en surimpression du rêve verbal. Le dialogue entre le verbe et l’image devient un jeu de reflets, où ni l’un ni l’autre ne cherche à dominer.
Dans l’épreuve ici présentée, une figure féminine, presque spectrale, se détache d’un fond laiteux. Le corps semble s’effacer à mesure qu’il se révèle, comme si Chagall tentait de saisir l’image même de l’absence. Aucun pathos, mais une gravité douce, une lumière de mémoire. Le silence de l’estampe prolonge le titre du recueil : dire les choses, sans les dire, c’est peut-être justement les montrer dans ce qu’elles ont d’irreprésentable. Et c’est là que Chagall excelle : transformer le mutisme de l’émotion en image suspendue.