Dans cette lithographie de Marc Chagall intitulée Noémie et ses belles-filles, tout est tendresse, séparation, destin suspendu. Trois femmes se tiennent, enlacées dans une étreinte silencieuse : au centre, Noémie, la veuve, la mère, l’exilée, entourée de ses deux belles-filles, Orpa et Ruth. Le sol est ocre, brûlé de terre et de perte. Au fond, un croissant rouge sang, figure cosmique, semble résonner avec l’énigme de leur choix. Car cette scène vient du Livre de Ruth, dans la Bible hébraïque : Noémie, après avoir perdu son mari et ses deux fils à Moab, décide de revenir en Juda. Elle demande à ses belles-filles de retourner vers leur peuple, vers leurs dieux. Orpa, en larmes, s’en retourne. Ruth, elle, reste. Et c’est de cette fidélité que naîtra plus tard la lignée de David, et, selon la généalogie chrétienne, celle du Christ.
Chagall, ici, ne montre pas l’instant de la séparation, mais celui du lien encore vivant, juste avant le déchirement. Il ne met pas en scène le tragique, il le murmure à travers les gestes. Les bras s’enlacent, les visages se penchent, et dans cette douceur picturale, il y a toute la mémoire du départ, de la transmission, de la foi discrète. La lune, ou le signe rouge, au-dessus, ne juge pas , il veille. Et dans le coin, à peine visible, un petit animal marche, comme pour rappeler que le monde continue.
Chagall ne raconte pas une histoire biblique, il en fait vibrer l’âme.
